Un mariage hum ? ft Hatasa

Je détestais ça. Ayant déjà vécu une situation similaire il y avait plus de trois ans maintenant, j’avais vite compris ce qu’il m’arrivait. Mon union avec Azrael n’avait pas été sans conséquences et ayant suffisamment attendu, le doré s’était assuré qu’il aurait rapidement une descendance. Et comme la première fois, je détestais ça.

Le ou les petits me retournaient l’estomac et m’empêchaient de vivre comme j’en avais envie. Je ne pouvais plus m’entrainer ni même effectuer de longues distances sans être épuisée et ce qui était sans doute le pire pour moi, c’est que je passais beaucoup plus de temps à dormir que d’habitude. Moi qui n’avais en général pas besoin de beaucoup de sommeil, voilà que je me retrouvais parmi les derniers à se réveiller et je trouvais encore le moyen de somnoler pendant la journée. J’avais détesté ma première gestation et je ressentais exactement la même chose pour la deuxième. Pourquoi donc avais-je accepté de réitérer cette expérience ? Je n’en étais qu’au tout début mais j’avais déjà hâte d’être délivrée des monstres qui grandissaient en moi.

Je soupirais, me rendant compte que je pensais exactement la même chose qu’il y a un peu plus de trois ans. Je savais ce qui m’attendais et si je n’aimais pas la période de gestation, je savais que j’aimerais inconditionnellement les petits que j’aurais. Tout comme j’aimais inconditionnellement mes quatre premiers enfants.

L’un d’eux s’apprêtait d’ailleurs a avoir ses propres enfants et lorsque je l’avais compris, cela avait créé des sentiments contradictoire en moi. D’un côté, j’en avais énormément voulu à mon gendre d’avoir infligé une telle douleur à ma fille et même si j’avais accepté cette union, j’aurais pensé qu’ils attendraient un peu avant d’avoir des enfants. Mais d’un autre côté, cette colère avait été apaisée à l’idée de voir les enfants de Hiari. Mon petit trésor doré aurait bientôt ses propres petits trésors et il me tardait de rencontrer mes petits-enfants. J’étais donc partagée entre plusieurs sentiments et mon humeur changeait selon lequel prenait le pas sur l’autre.

Tu vas bien ? Tu n’arrêtes pas de soupirer et de grogner…

Je ne m’étais pas rendu compte de cela et je posais mon regard sur mon compagnon. L’inquiétude se lisait sur son visage et je savais ce dont il avait peur.

Ce n’est rien, ne t’en fais pas.

Il ne suivrait sans doute pas cette directive et continuerait de s’inquiéter. Il allait me poser d’autres questions, je le savais mais je n’avais pas envie de lui révéler mes pensées à cet instant. Je priais donc le Désert de couper court à l’interrogatoire qui allait suivre et mon souhait fut exaucé lorsque j’entendis des pas se rapprocher de nous. Je tournais donc la tête juste à temps pour voir mon fils arriver à nos côtés. Mon regard s’illumina à la simple vue de Jenkaa et un élan de fierté me parcouru en voyant ce qu’il était devenu. Un bel adulte dans la force de l’âge et à qui rien ne résisterait.

Mère, puis-je te parler ?

Je quittais ses yeux orangés pour trouver ceux bicolores d’Azrael. Il savait que mes enfants passeraient toujours avant lui, je le lui avait dit clairement. Il comprit donc sans mal ma demande silencieuse et ne tarda pas à s’éloigner non sans dire à Jenkaa qu’il me confiait à lui. Je levais les yeux au ciel face à ces paroles. Comme si j’avais besoin de quelqu’un pour me protéger. Et puis, ce n’est pas comme si je risquais quelque chose. Surtout avec mon fils.

Je t’écoute, qu’est-ce qu’il y a ?

J’avais quitté ma position allongée pour m’assoir face à mon enfant tandis que je prononçais ces mots. Une nausée me prit alors et je dû me retenir pour ne pas vomir, transformant un instant mon visage d’ordinaire impassible. Jenkaa ne savait pas pour ma gestation et je me demandais si c’était de ça dont il souhaitait me parler.

Comme je m’y attendais, Jenkaa avait remarqué mon trouble et s’empressa de s’enquérir de ma santé.

Tout va bien Mère ? Tu as l’air… Etrange. Est-ce Azrael qui te met dans de tels états ?

J’avais échappé aux questions de mon compagnon mais je n’échapperais pas à celles de mon fils apparemment. En même temps, comment aurait-il pu en être autrement en considérant le lien puissant qui nous unissait tous les deux. Mon fils n’avait pas fini alors je le laissais continuer avant de lui répondre.

J’ai appris que tu envisageais de me marier…

Il était donc au courant ? C’était donc pour cela qu’il venait me voir aujourd’hui. M’en voulait-il d’avoir pris cette décision pour lui en sachant que ses sœurs et son frère étaient libres de leur choix ?

J’aurais aimé être au moins averti au lieu de l’apprendre par le premier lion du Désert venu !

Evidemment qu’il était en colère. Sa voix trahissait son sentiment et sa queue balayant vivement l’air en était un autre indice. Je ne pouvais pas lui en vouloir, il avait totalement raison. J’aurais dû l’informer de mon intention. Enfin, ce n’était plus une intention désormais car cela avait été décidé depuis un moment maintenant. Savait-il cela également ?

Je te demande pardon, Jenkaa. Il est vrai que j’aurais dû te le dire. Néanmoins, ce n’est pas un projet mais une réalité. Les parents d’Habari et moi avons convenu d’un mariage arrangé entre vous deux.

Je laissais le silence nous entourer quelques instants, le temps qu'il digère cette nouvelle information. Il n'apprécierait pas, je le savais. C'est pourquoi je pris les devants et expliquais mon intention avant qu'il ne puisse réagir.

Je sais que tu aurais voulu avoir le choix mais crois-moi, si j’ai accepté, c’est que je sais que c’est cette lionne que tu aurais choisi. Je voulais juste éviter qu’elle ne soit réclamée par un autre mâle alors que je sais qu’elle est faite pour toi. Fais-moi confiance.

Il aurait très bien pu se battre face à un autre mâle qui aurait choisi Habari mais comment aurait-il fait si cela s’était produit avant qu’il ne rentre d’Exil ? J’avais donc pris cette précaution au risque qu’il m’en veuille, comme c’était le cas maintenant. J’espérais quand même qu’il change d’avis en se rendant compte que j’avais raison.

J’avais abordé le sujet du mariage mais il restait une question à laquelle je n’avais pas répondu. Et comme elle concernait ma santé, nul doute que mon fils s’inquiétait toujours en attente de ma réponse.

Pour en revenir à moi, je vais bien, oui. Et non, ce n’est pas Azrael qui me met dans cet état. Quoiqu’il n’est pas totalement innocent… Je porte ses enfants, Jenkaa.

Je savais qu’il n’appréciait pas mon nouveau compagnon et je l’avais bien entendu à la façon dont il avait prononcé son nom. Que penserait-il alors de sa futur demi-fratrie ? J’avais hésité à lui révéler ma grossesse mais il finirait bien par l’apprendre et mieux valait que se soit par moi. Je pourrais alors calmer ses sentiments, quels qu’ils soient.

Je le connaissais si bien que je ne fus pas surprise de sa réaction. Ses oreilles plaquées sur son crâne et son feulement me laissèrent de marbre mais le regard qu’il me lança me pinça le cœur. Jamais il ne m’avait regardé de la sorte et je me mordis la lèvre inférieure pour ne pas m’emporter lors de mon explication. Celle-ci ne semblait pas avoir convaincu mon cadet mais je restais persuadée que j’avais fait le bon choix.

Je ne sais pas Maman… J’ai peur de ne pas être à la hauteur, je ne me sens pas de me marier immédiatement et… Je ne sais pas si j’aime Habari.

Il avait baissé la tête avant de me faire part de son ressenti. J’amenais ma patte jusque sous sa tête et la relevais jusqu’à ce qu’il croise mon regard. Je voulais qu’il voit ma sincérité par rapport à ce que je m’apprêtais à lui dire.

Je sais que je t’ai bien élevé, Jenkaa. Tu feras un excellent mari, j’en suis certaine. Néanmoins, si tu ne te sens pas prêt, rien ne t’oblige à appliquer cet engagement dès maintenant. Tout comme vous n’êtes pas obligés de donner tout de suite de nouveaux enfants au Désert. Apprenez d’abord à vous connaitre et si cela ne fonctionne pas alors j’admettrais mon erreur et je romprais cet accord, vous laissant libres de faire votre propre choix.

Azrael fut le prochain sujet de conversation et l’annonce de ma gestation fut un cataclysme pour Jenkaa. Il s’écarta de moi tandis que sa fourrure augmentait de volume. Le regard qu’il posa ensuite sur mon ventre me fit frissonner puis il grogna de nouveau, laissant libre court à ses émotions.

Promets-moi qu’il n’a rien fait contre ton gré…

Pensait-il vraiment que je laisserais une telle situation m’arriver ? Les mâles étaient puissants certes, mais j’avais appris à me défendre au fil des ans et je savais quoi faire si cela devait se produire. Mais je n’en avais pas eu besoin avec Azrael et je rassurais mon fils à ce sujet.

Je savais ce que je faisais lorsque je me suis unie à lui, Jenkaa. Il ne m’a poussé à rien et jamais je n’aurais fait une telle chose si je ne l’aimais pas, sois en sûr. Saches aussi que mes futurs enfants ne vous remplaceront jamais. Vous aurez tous une place dans mon cœur, toujours. Et j’aurais toujours du temps à vous accorder, n’aie crainte.

Cela sera-t-il suffisant pour apaiser les craintes de mon fils ? Je l’espérais. Tout comme j’espérais qu’il ne dénigrerait pas sa demi-fratrie à cause de leur ascendance. Je ne supporterais pas que certains de mes enfants ne s’entendent pas entre eux alors j’essayais de préparer le terrain.

Je sais que ce que je vais dire ne va pas te plaire mais je ne suis pas éternelle et viendra un jour où le Désert me rappellera à lui. Ce jour-là, j’ose espérer que tu seras là pour eux car ils n’auront plus que vous.

J’avais encore une bonne espérance de vie mais mon titre la réduisait considérablement. La cohésion du clan était ceci dit plutôt bonne et je n’avais pas eu d’échos quand à un potentiel futur adversaire. On ne pouvait pourtant pas prédire l’avenir et ce que le Désert prévoyait pour moi mais mieux valait se préparer à tout. Et cela incluait forcément ce qui attendait mes plus jeunes enfants, d’où mes derniers mots.

Encore une fois, je voyais différents sentiments tirailler mon fils. Mes mots semblaient l’avoir atteint et j’imaginais très bien ce qui se passait dans sa tête à cet instant précis.

J’accepte ce mariage…

Voilà qui était une bonne chose. Je restais persuadée que j’avais raison et il me tardait de voir venir le moment où mon fils se rendrait compte de cela. Je pouvais néanmoins comprendre qu’il ne voulait pas gâcher son amitié naissante avec la femelle dorée mais en dépit des actions de son père, la féline était parfaite pour Jenkaa. Une mère ne pouvait pas se tromper sur ce genre de choses.

Laissant de côté le sujet du mariage, nous abordions ensuite ma propre relation avec Azrael et ce qu’elle entrainerait d’ici quelques mois. Je rassurais mon fils en lui assurant qu’il serait toujours dans mon cœur et que j’aurais toujours du temps pour lui quand bien même j’allais créer de nouvelles vies. Car on a toujours du temps à accorder à ceux que l’on aime et cela ne changerait jamais pour moi car sans eux, je n’étais rien.

Je parlais ensuite d’un sujet qui, je le savais, ne plairait pas à mon fils : ma mort. De tous mes enfants, il était celui avec qui j’avais la relation la plus fusionnelle et j’espérais de tout cœur qu’il ne s’éloignerait pas de moi et qu’il ne repousserait ses frères ou sœurs.

Ces petits, même s’ils sont les fils d’Azrael sont tes enfants, Maman. Et tu sais à quel point je t’aime. Je ne pourrais jamais laisser ces lionceaux de côté, ne serait-ce que pour toi. Je ne veux pas qu’ils vivent avec un mal-être constant causé par un acte égoïste de ma part, Maman. Je ne veux pas qu’ils souffrent. Et encore moins que toi, tu souffres. Parce que tu es importante.

Il avait chuchoté ces mots et ils me touchèrent beaucoup. Il était plus grand que moi désormais alors bien que j’avais envie de frotter ma tête contre la sienne, je dû me contenter d’enfouir ma tête dans sa crinière dans un geste des plus tendres. Je reculais après quelques secondes et le fixais droit dans les yeux pour mes prochaines paroles.

Lorsqu’ils seront en âge de comprendre, je leur ferais savoir à quel point leur frère est une personne extraordinaire. Tu feras un excellent grand frère pour eux, un excellent oncle et un excellent père lorsque le moment sera venu, je n’en doute pas une seule seconde.

Très peu de personnes pouvaient se targuer de m’avoir vu sourire et Jenkaa en faisait partie. Encore aujourd’hui, c’est un sourire sincère que je lui offrais après mes dernières phrases.

Mon fils s’écarta vivement de moi, comme si un serpent l’avait mordu et il se mit à grogner.

Daren et Hiari ?...

Vu comment il réagissait, j’en déduisais qu’il n’était pas au courant. Oups. Moi qui pensais que la joie de mon trésor doré était telle qu’elle avait informé tout le monde. Ce n’était apparemment pas le cas et quelque part, si je m’en voulais d’être celle qui l’annonçait à Jenkaa, je me disais que ce n’était pas si mal au vu de sa réaction virulente.

Hiari a été engrossée par ce moins que rien et tu l’as laissé faire ! Comment as-tu pu le laisser faire ça à ta propre fille ?!

Il frappa de nouveau le sol, faisant à nouveau voler une gerbe de sable. Je n’eus pas le temps de réagir qu’il reprenait déjà.

Ce n’est pas parce qu’elle est faible qu’elle doit être mariée avec le premier lion venu ! Tu… Comment as-tu pu laisser faire ça Maman ? L’honneur ne compte-t-il plus pour toi ? Déjà que l’entièreté du clan vois Hiari comme la patte molle du groupe, que vont-ils penser … ? Tu as pensé à l’influence qu’aura ce lion sur elle ?

Le ton qu’il employait… je n’aimais pas ça. Sa réaction était disproportionnée et le fait qu’il me reproche cette union alors que j’avais toujours fait les meilleurs choix pour eux était insupportable. C’en était trop. Je feulais à mon tour avant de me relever.

Ça suffit, Jenkaa ! Crois-tu vraiment que c’est une décision que j’ai prise à la légère ? Tu n’étais pas là, tu ne sais pas ce qu’il s’est passé. Contrairement à ce que tu peux croire, Daren est un lion plus qu’honorable. Il aurait pu profiter de ta sœur mais il est venu me demander sa patte avant d’entreprendre quoi que ce soit avec elle. Les mots qu’il a utilisés… Ils m’ont rappelé ceux de ton père. Ce n’est pas une référence je te l’accorde mais j’ai ressenti à travers eux tout l’amour qu’il a pour Hiari. Il l’aimera à la hauteur de ce qu’elle mérite et c’est pour cela que j’ai accepté cette union. Et je ne sais pas si tu as remarqué mais ta sœur est plus heureuse qu’elle ne l’a jamais été et c’est tout ce qui compte pour moi. Maintenant, si tu n’es pas capable d’accepter ça, ce n’est pas  mon problème.

Je n’avais jamais réagi comme cela et peut-être que cela était dû aux hormones mais  la colère s’était ressentie durant tout mon discours et pour la première fois de ma vie, elle était dirigée contre l’un de mes enfants. Les mots étaient sortis mais je savais que la colère se lisait toujours dans mes yeux. La situation était inédite pour nous deux et je ne savais comment il allait le prendre.

Le silence. Il nous entoura pendant de longues secondes après mon accès de colère. Le silence avant la tempête.

Alors c’est cela ? Si c’est tout ce que tu peux voir, c’est ton problème, Mère. Ne vois-tu pas le regard des lions autour de toi ? Ces félins qui se moquent ouvertement de ma sœur parce qu’elle ne sait pas se battre. Pour quoi crois-tu qu’elle passe ? Pour le fennec boiteux du Désert, voilà pour quoi elle passe ! Mais ça tu n’es pas apte à le voir… Parce que tu es trop obsédée par ce glorieux passé que tu as eu avec Wivu. Mais ça c’est comme tout le reste Maman ! TOUT LE MONDE NOUS MENT ! Hiari n’est que le dindon de la farce aux yeux de tout le monde. Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu lui trouves un handicapé pour l’engrosser ? Et après c’est moi le problème ? Mais on s’en moque de l’amour chez les jangowas Maman ! Tu crois sérieusement que Kaya aimait Jen lorsqu’il… Et tu crois qu’Habari m’aime ? Mais non ! Elle ne m’aime pas…

Il avait besoin de faire sortir sa colère alors je ne l’avais interrompu durant son monologue. Depuis quand gardait-il toute cette rancœur en lui ? Depuis quand voyait-il sa sœur comme une moins que rien ? Son statut de guérisseuse lui permettait de donner la mort de manière différente si elle le souhaitait et elle savait parfaitement se battre, comme elle l’avait fait face à Akito. Mais tout cela ne franchit pas la barrière de mes lèvres. Ses mots m’avaient blessé. Et plus d’une fois. D’abord par la vision qu’il avait de sa sœur, ensuite en mentionnant à tord l’idéalisation que j’avais de mon passé amoureux et enfin en parlant de Kaya. Il était allé trop loin. Bien trop loin. Douleur et colère se battaient dans le regard que je lançais à mon fils et celui-ci sembla le ramener à la raison.

Pardon…

Il secoua la tête avant de fuir loin de moi. Je ne réagissais toujours pas. Que venait-il de se passer exactement ? Avais-je perdu mon fils ? Comment en étions-nous arrivés là ? Moi qui les avais toujours fait passer en premier, qu’avais-je mal fait pour que cette situation se produise ?

J’esquissais quelques pas dans la direction qu’avais prise Jenkaa mais une douleur fulgurante dans mon ventre me stoppa net. J’attendis quelques minutes sans bouger mais cela ne se reproduisit pas. Je repris donc ma marche mais une nouvelle douleur m’arrêta. Que devais-je déduire de cela ? Une seule conclusion me vint. Ce n’était pas moi qui étais en tort. C’était Jenkaa. Et tant qu’il ne verrait pas la vérité, je ne lui adresserai plus la parole.